Proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la reconnaissance du génocide des Assyro Chaldéens de 1915-1918
Mon intervention générale en séance publique
Madame la Présidente,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,
Walter Benjamin disait que le progrès humain ne peut se réaliser tant que la justice n’est pas rendue aux victimes des persécutions. Nous devons aux morts du génocide arménien, à leurs souffrances et à leur mémoire qu’une instance juridique internationale établisse les faits et les culpabilités. Comme les juifs de la Shoah, les Bosniaques de Srebrenica et les Tutsis du Rwanda, les victimes du génocide, des déportations et des spoliations perpétrées par l’Empire ottoman en 1915, qu’elles soient arméniennes, grecques pontiques ou assyro-chaldéennes, doivent être reconnues par un tribunal pénal international sous mandat de l’Organisation des Nations unies.
La recherche historique a montré depuis longtemps que le génocide arménien de 1915 n’est pas un accident, mais la phase paroxysmique d’une administration de plus en plus criminelle des minorités religieuses et ethniques par l’Empire ottoman. Pour bien en mesurer l’importance, il faut rappeler que les Arméniens, Grecs, Juifs, Syriaques, Assyriens et Chaldéens, représentaient plus de 19 % de la population ottomane en 1914, contre 0,2 % aujourd’hui.
La construction de l’État turc moderne s’est nourrie de la persécution des minorités religieuses et ethniques. Les minorités chrétiennes ont été éliminées les premières. Puis vint le tour de celles qui furent considérées comme incompatibles avec l’identité nationale fondée sur le sunnisme et la turcité. Ainsi, une violente campagne antisémite aboutit à l’expulsion des juifs de Thrace en 1934. Progressivement, les minorités religieuses issues de l’islam subirent elles aussi la persécution : chiites, alaouites et alévis. N’oublions pas les massacres commis contre les communautés alévis de Sivas en juillet 1993 et de plusieurs quartiers d’Istanbul en mars 1995.
Enfin, comment oublier le destin funeste du peuple kurde auquel le traité de Sèvres promettait un territoire autonome au sein duquel seraient reconnus des droits pour la minorité assyro-chaldéenne. Son article 62 stipulait en effet que sa mise en œuvre devait « comporter des garanties complètes pour la protection des Assyro-Chaldéens et autres minorités ethniques ou religieuses dans l’intérieur de ces régions ».
On sait ce qu’il advint de ce traité que la France et le Royaume-Uni s’empressèrent de remplacer par celui de Lausanne, signé en 1923, qui organisa leur tutelle sur les possessions ottomanes au Proche-Orient et abandonna l’Arménie et les Kurdes à leur triste sort. Pis, ce traité permit la réalisation de ce que la partie turque qualifia de « stabilisation de l’homogénéité ethno-religieuse » et qui se traduisit dans les faits par l’expulsion d’un million et demi de Grecs de Turquie. Un tiers d’entre eux moururent avant d’atteindre les côtes grecques. Ce génocide des Grecs de Turquie ne doit pas non plus être oublié.
Le traité de Lausanne a posé les bases de l’identité religieuse et ethnique du nouvel État turc. Un ministre de la justice de Mustafa Kemal Atatürk déclarait en 1930 : « que tous, les amis, les ennemis et les montagnes sachent bien que le maître de ce pays, c’est le Turc. Ceux qui ne sont pas de purs Turcs n’ont qu’un seul droit dans la patrie turque : c’est le droit d’être le serviteur, c’est le droit à l’esclavage ».
La France accepta tout, jusqu’à l’opprobre de céder à la Turquie, en juin 1939, le sandjak d’Alexandrette qui appartenait au territoire de la Syrie placée sous son mandat. Les 50 000 Arméniens, Grecs et Assyriens qui y vivaient prirent eux aussi le chemin de l’exil.
Dans votre résolution, chers collègues, vous écrivez que « la France [a un] devoir historique et moral de protection des minorités chrétiennes d’Orient ». L’histoire nous enseigne qu’elle ne l’a assumé que lorsqu’il pouvait satisfaire ses ambitions géo-politiques. Ce pragmatisme sans scrupule a considérablement affaibli ces communautés et en tout premier lieu celle des Assyro-Chaldéens, sans doute parce que la diversité de ses composantes, linguistiques, religieuses et ethniques la rendait encore plus fragile.
Minoritaires parmi les minorités, persécutés parmi les persécutés et oubliés parmi les oubliés, les Assyro-Chaldéens n’ont cessé de subir les conséquences des bouleversements de l’histoire tumultueuse du Proche-Orient. La France, en reconnaissant le génocide arménien, qui ne concerne pas seulement les Arméniens, ne les a pas ignorés. Le mérite de cette résolution est de les associer plus distinctement à l’hommage rendu à tous les morts de 1915.