Loi de programmation de la recherche : conclusions de la CMP
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale a regretté le fonctionnement du Conseil constitutionnel et a souhaité que sa saisine par des parlementaires puisse être l’occasion d’un débat contradictoire.
Comme les trois groupes placés à la gauche de cette tribune saisiront les Sages sur ce projet de loi et afin de satisfaire la demande de notre collègue députée, je me permets de vous donner la possibilité, madame la ministre, de défendre, par contumace (Sourires), des dispositions sur lesquelles nous demanderons la censure du Conseil constitutionnel.
Nous doutons de la sincérité de cette programmation budgétaire, qui reporte aux deux dernières années de la décennie l’essentiel de son effort. Pis, comment accepter que le Parlement se prononce, dans le même temps, sur un projet de loi de programmation dont le budget pour l’année 2021 constitue la première étape et sur le projet de loi de finances pour cette même année ? Ainsi, nous débattons ce jour du projet de loi de programmation alors que l’Assemblée nationale a déjà adopté le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour l’année 2021.
M. Max Brisson. C’est vrai !
Mme Frédérique Vidal, ministre. Mais pas le Sénat !
M. Pierre Ouzoulias. À l’occasion de sa discussion par l’Assemblée nationale, notre collègue Cédric Villani, rapporteur pour avis du budget des grands organismes de recherche, s’étonnait de la stagnation des moyens budgétaires des grands opérateurs de recherche, en contradiction manifeste avec les engagements contenus dans le projet de loi de programmation.
Enfin, la commission mixte paritaire a adopté, à l’article 20 bis AA, une disposition sur le délit d’entrave, qui n’a été discutée dans aucune des deux chambres et pour laquelle je n’ai pu exercer mon droit constitutionnel d’amendement.
Par ailleurs, sur la méthode, je regrette vivement que certaines dispositions de ce texte n’aient fait l’objet d’aucune discussion pendant les deux années de sa préparation. Ainsi, sur la réforme du Conseil national des universités, qui participe avec les chaires de professeurs juniors à l’instauration d’un accès à ce corps laissé à la discrétion des présidents d’université, vous avez préféré la tribune d’un journal du soir à celle du Sénat pour nous informer que vous assumiez la fin du monopole de la qualification par le CNU. Il eût été alors de bonne politique que vous défendissiez vous-même, dans cet hémicycle, cette remise en question majeure d’une mission confiée au CNU par l’ordonnance du 2 novembre 1945 et constitutive d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Je partage l’extrême préoccupation de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment des juristes auxquels vous ne pouvez reprocher de ne pas comprendre la loi. Elle a le sentiment d’avoir été obligée de signer un pacte faustien : en échange d’une hausse budgétaire illusoire, il lui est demandé d’accepter une triple soumission, liberticide, utilitariste et entrepreneuriale.
En 449 avant notre ère, protestant contre le despotisme des magistrats, la plèbe romaine se retira sur le mont Sacré et refusa de participer aux affaires de la cité. (Sourires.) Dans la solitude du forum, des sénateurs s’écrièrent : « Qu’attendez-vous encore, sénateurs ? Si les [magistrats] ne mettent pas une borne à leur obstination, souffrirez-vous que tout périsse dans une conflagration générale ? […] Est-ce pour les toits et les murailles que vous ferez des lois ? » (Nouveaux sourires.)
L’enseignement supérieur et la recherche ne peuvent s’administrer sans la participation volontaire de tous ses acteurs. Une loi ne pourra leur imposer de collaborer au démantèlement de la gestion collégiale, qui garantit leurs libertés universitaires.
Chers collègues sénatrices et sénateurs, alors que la plèbe universitaire vous appelle à la raison, entendez-la et ne faites pas une loi « pour les toits et les murailles ». Refusez de voter ce texte !