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Les chercheurs souhaitent que le dialogue sur la recherche qui commence avec eux soit sincère !

Projet de loi PACTE - articles 41 et 41bis


Séance du 5 février 2019 - Projet de loi PACTE
Articles 41 et 41bis
Compte-rendu des débats


Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.


M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les dispositions que nous allons maintenant examiner sont tirées du rapport commandé par M. Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche du précédent gouvernement, et vous les reprenez quasiment in extenso…
Devant l’Assemblée nationale, la ministre chargée de la recherche a déclaré que cet article « était un élément fondamental de ce projet de loi ».
Néanmoins, depuis vendredi dernier, le contexte politique de l’examen de cet article a radicalement changé. En effet, à l’occasion d’une grande réunion publique organisée pour célébrer les 80 ans du CNRS, le Premier ministre a lancé, de façon très solennelle, un grand débat national sur la science. Il le souhaite le plus large et le plus libre possible et demande aux scientifiques de répondre à trois questions : « Comment garantir que les projets les plus novateurs soient financés au bon niveau ? Comment rester compétitifs à l’échelle internationale ? Comment convertir les découvertes scientifiques en innovations ? »
Le Premier ministre a fixé un calendrier à cette consultation : elle devra être achevée avant la fin de ce semestre pour permettre à la ministre de déposer un projet de loi, ce qui devrait être fait à la fin de l’année 2019 ou au début de l’année 2020.
En s’adressant à la communauté scientifique, le Premier ministre a ajouté : « Nous avons besoin du doute et du raisonnement scientifique. »
Il me semble, dans ce contexte, qu’il serait de bonne politique de surseoir à la discussion des dispositions du projet de loi qui concernent ces questions pour laisser aux scientifiques la liberté de débattre, pleinement et sans restriction, de tous les sujets proposés par le Premier ministre.


Mme la présidente. L’amendement n° 642, présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.


La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. En présentant cet amendement et en l’absence de réaction du ministre, je poursuis mon argumentaire pour vous montrer en quoi il est plus légitime que nos discussions se déroulent dans un cadre plus large.
Comme cela est indiqué dans le rapport, les dispositions de la loi du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche, dite loi Allègre, concernent moins de 1 % des chercheurs. Vous considérez qu’en simplifiant encore les modalités de ces dispositifs cette proportion pourrait progresser.
Ce n’est pas l’avis de la Cour des comptes, qui a montré dans un récent rapport – il a été publié en mars 2018 – que le seul outil de l’intéressement n’était pas suffisant pour développer les interactions entre la recherche et la valorisation. Selon ce rapport, « l’incitation des chercheurs à se préoccuper de la valorisation est un enjeu essentiel. À cette fin, l’État a privilégié l’outil de l’intéressement et l’a rendu de plus en plus favorable au fil du temps. Néanmoins, d’autres outils non financiers pourraient être mis en place pour lever les freins à l’implication des chercheurs publics dans la valorisation ».
La démarche doit donc être plus systémique et il convient d’associer les chercheuses et les chercheurs à cette réflexion globale. C’est l’objet du grand débat national sur la science lancé par le Premier ministre.
Je crains que les corrections que vous nous proposez d’apporter ne concernent finalement que l’infime proportion – moins de 1 % – des chercheurs qui les utilisent déjà, sans inciter les autres à les rejoindre.
Il serait plus sage d’avoir une vision globale de cette question et de rendre la parole aux chercheurs, comme le Premier ministre s’y est engagé vendredi dernier.


Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. La loi Allègre a permis un premier rapprochement entre la recherche et l’innovation, mais le bilan concret reste assez mitigé. Il paraît donc opportun, vingt après le vote de cette loi, de la réformer afin de permettre à la recherche de soutenir l’innovation, qui est la pierre angulaire de la compétitivité des entreprises. C’est pourquoi la commission spéciale est défavorable à cet amendement.


Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis que la commission spéciale.
Je rappelle que cette question n’entre pas dans le cadre du grand débat, qui contient quatre chapitres. Il me semble donc que nous pouvons avancer sur ce sujet sans attendre ses conclusions.
Par ailleurs, je crois qu’il est de l’intérêt de la France de permettre aux chercheurs d’avoir un lien plus étroit avec le monde de l’entreprise. Limiter la capacité d’un chercheur à travailler dans une entreprise revient à limiter la capacité de nos entreprises elles-mêmes à se développer, à innover et à gagner la bataille des nouvelles technologies.
J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises dans cet hémicycle : l’avenir de la France, en particulier sur le plan industriel et économique, repose sur notre capacité à investir dans les technologies de rupture. Si nous continuons à séparer et à cloisonner le monde de la recherche et celui de l’entreprise, notre économie ne réussira pas.
Nous avons des concurrents asiatiques, par exemple chinois, et américains qui permettent aux chercheurs et aux entreprises de travailler main dans la main pour le plus grand bénéfice de ces nations. Je vous propose simplement de faire de même, en rehaussant la possibilité pour les chercheurs de passer plus de temps dans une entreprise.


Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, je discute non pas du fond de cette mesure, mais de la méthode. Le Premier ministre a engagé, vendredi dernier, un grand débat national sur la recherche qui devrait durer six mois. J’étais au premier rang et je crois avoir correctement compris… Or, parmi les questions posées aux chercheurs, l’une – par ailleurs fondamentale – concerne exactement ce dont nous débattons : comment convertir les découvertes scientifiques en innovations ?
Je pense qu’il serait de mauvaise politique que votre gouvernement referme maintenant un grand débat à peine ouvert. Il faut laisser la parole aux scientifiques sans restreindre a priori la portée du débat, sinon, mes chers collègues, nous pourrions douter de la sincérité du grand débat national (M. Roger Karoutchi s’exclame.), qui porte en effet sur d’autres thèmes. Le Gouvernement va peut-être nous expliquer que le grand débat non plus ne doit pas aborder toutes les questions qui se posent…
Il faut aujourd’hui laisser la parole aux chercheurs et je vous demande finalement, mes chers collègues, de respecter la science française, en laissant à chacun la possibilité de s’exprimer librement sur ces problèmes qui sont fondamentaux. C’est d’ailleurs ce à quoi le Gouvernement s’est engagé !
Je le répète, je parle non pas du fond, mais de la méthode. Nous devons respecter l’engagement pris par le Premier ministre vendredi dernier à l’égard des chercheurs. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)


Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Il s’est effectivement passé un événement important en fin de semaine dernière : l’annonce par le Premier ministre, en présence de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, du lancement d’une large concertation. L’ensemble du monde scientifique, notamment les chercheurs, et nous-mêmes ne pouvons que nous féliciter de cette annonce.
La question des liens entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche est réelle et faciliter leur rapprochement et leur collaboration me semble aller dans la bonne direction, mais les articles de ce projet de loi qui portent sur ces sujets pourraient laisser penser que nous refermons le débat, qui n’a pourtant été ouvert que vendredi dernier.
Sans prendre position sur le fond de ces questions, il me semble effectivement plus sage de les renvoyer à ce grand débat, aux chercheurs et à l’ensemble des partenaires qui vont justement être rassemblés dans cet objectif. Il leur revient de trouver les meilleurs outils et leviers pour, entre autres choses, approfondir les liens entre le monde de l’entreprise et celui de la recherche.


Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 642.
(L’amendement n’est pas adopté.)


Mme la présidente. L’amendement n° 643, présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 9
Remplacer les mots :
est tenue informée
par les mots :
ainsi que la commission mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 décembre 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires sont tenues informées
II. – Alinéa 15
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le contrat est transmis pour avis à la commission mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 décembre 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
III. – Alinéa 23
Supprimer cet alinéa.
IV. – Alinéa 32
Supprimer cet alinéa.
V. – Alinéa 36
Après le mot :
fonctionnaire
insérer les mots :
après avis de la commission mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 décembre 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
VI. – Alinéa 42
Supprimer cet alinéa.
VII. – Alinéa 44, seconde phrase
Après le mot :
autorité
insérer les mots :
ainsi que la commission mentionnée à l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 décembre 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
VIII. – Alinéa 45
Supprimer cet alinéa.


La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis opiniâtre, madame la présidente, je poursuis donc mon argumentaire…
Dans son rapport, la commission spéciale de l’Assemblée nationale a reconnu que les mesures dont nous débattons « créaient davantage de situations, dans lesquelles les chercheurs partagent leur temps entre l’entreprise privée et leurs fonctions publiques, augmentant ainsi le risque de conflits d’intérêts ».
L’article L. 531-3 du code de la recherche rendait obligatoire l’avis de la commission de déontologie instituée par la loi de 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires. Le Gouvernement a décidé d’abroger cet article et de remplacer cet avis obligatoire par une information facultative.
Le statut de la fonction publique impose aux fonctionnaires des droits et des devoirs. Ces devoirs sont essentiels et permettent à l’État de disposer des compétences et du travail de ses fonctionnaires pour mener à bien ses missions au service de l’intérêt général, sous le contrôle du Parlement.
Dans le cadre d’une mission de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, notre estimé collègue Pierre Médevielle et votre serviteur, pour le Sénat, ont rencontré la direction de l’Autorité européenne de sécurité des aliments à Parme. Elle nous a expliqué que, à la suite des crises que vous connaissez – glyphosate… –, elle avait été obligée d’écarter de son panel presque la moitié des scientifiques qui travaillaient pour l’agence en raison de leurs conflits d’intérêts. Elle demandait donc aux États membres, dont la France, de veiller à maintenir un corps de scientifiques qui en soit totalement préservé.
C’est une nécessité absolue pour conserver la crédibilité scientifique et politique des avis rendus par les agences d’évaluation.
L’État en tant que tel, et non ses établissements, doit donc veiller, par le biais d’une commission de déontologie, à disposer d’une expertise scientifique totalement indépendante. C’est pourquoi nous proposons dans le présent amendement de rétablir les prérogatives de cette commission.


Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Je voudrais rappeler que les organismes de recherche gardent toujours la possibilité de saisir la commission de déontologie, s’ils estiment qu’ils ne sont pas en mesure d’apprécier si le fonctionnaire se trouve en situation de conflit d’intérêts. Sur les 1 571 dossiers soumis à la commission de déontologie entre 2000 et 2015, 1 426 ont reçu un avis favorable, soit 91 % des cas.
Il me semble important de faire confiance aux organismes de recherche qui connaissent bien les travaux de leurs chercheurs, ainsi que les entreprises avec lesquelles ils passent des contrats. Les organismes peuvent par conséquent juger, au plus près du terrain, s’il y a ou non un risque de conflit d’intérêts.
La commission spéciale est donc défavorable à cet amendement.


Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je suis désolé, mais la pratique m’amène à distinguer l’intérêt des établissements publics de celui de l’État, que j’estime supérieur. Si vous considérez que les avis de la commission de déontologie sont systématiquement favorables, je ne vois pas pourquoi ils constitueraient des freins aux déplacements et à la mobilité des chercheurs. Au contraire, je pense que c’est aujourd’hui pour l’État un pare-feu essentiel, de nature à éviter les conflits d’intérêts tels que ceux que nous avons pu voir sur différents dossiers.


Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 643.
(L’amendement n’est pas adopté.)


(...) Mme la présidente. L’amendement n° 645, présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéas 57 à 59
Supprimer ces alinéas.


La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Notre amendement vise à revenir sur l’amendement n° 358 de Mme la rapporteur, dont l’adoption en commission a conduit à ajouter aux critères objectifs de l’évaluation définis par le code de la recherche, aujourd’hui limités aux « contributions au développement de la culture scientifique et aux actions en faveur de la participation du public à la prospection, à la collecte de données et au progrès de la connaissance scientifique » les contributions au développement de l’innovation.
Cette innovation est comprise uniquement dans le cadre d’opérations industrielles et commerciales. Une telle acception du terme est très restrictive, trop restrictive à notre goût. En latin, le mot innovatio désigne le changement, le renouvellement non seulement scientifique, mais aussi politique et philosophique.
De plus en plus nombreux sont mes collègues qui viennent exposer devant nos commissions leurs recherches sur des dossiers que nous traitons, et je m’en réjouis vivement, car nous avons collectivement beaucoup à apprendre de leur expertise. Parfois, les échanges que nous avons avec eux constituent de véritables innovations, parce qu’elles changent notre façon d’appréhender le monde. J’aimerais aussi que cet apport fondamental, plutôt d’ordre philosophique, politique, culturel, soit également reconnu dans leur carrière, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Enfin, cum grano salis (Exclamations amusées.), je ne suis pas opposé à ce que les relations entre les chercheurs et le monde qui les entoure soient encouragées. Les dérogations consenties à leur statut sont peut-être nécessaires. J’aimerais alors comprendre pourquoi, quand il s’agit d’un parlementaire, il est indispensable d’établir une paroi totalement étanche entre sa carrière scientifique et son mandat. Je suis chercheur au CNRS en position de disponibilité pour la durée de mon mandat. Il n’y a pas de problème quand vous faites une mobilité vers le privé, mais il est beaucoup plus préjudiciable pour votre carrière de faire une mobilité vers le Sénat. Pourquoi cet hémicycle est-il frappé d’indignité ? (Exclamations amusées sur plusieurs travées.) J’aimerais avoir une explication ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)


Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Je comprends tout à fait vos préoccupations concernant les chercheurs en sciences humaines et sociales, mon cher collègue. Pour autant, je vous rappelle que le code de la recherche dispose que « les activités de recherche financées en tout ou partie sur fonds publics, réalisées par des opérateurs publics ou privés, sont évaluées sur la base de critères objectifs adaptés à chacune d’entre elles et s’inspirant des meilleures pratiques internationales. »
Il est donc déjà précisé dans la loi que les critères d’évaluation sont adaptés en fonction des disciplines.
L’avis est donc défavorable.


Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Même avis.


Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Vous voyez bien que nous sommes en porte-à-faux. La discussion que nous avons mériterait d’être menée dans le cadre qu’a offert le Premier ministre aux chercheurs. Comme vous le dites très justement, madame la rapporteur, aujourd’hui, l’évaluation de chercheurs se fait en fonction de codes internationaux, mais qui ne sont pas du tout ceux que vous réclamez. Ils prennent en compte la bibliométrie, c’est-à-dire le rang des revues, qui est un critère politiquement tout à fait condamnable si l’on se soucie d’intérêt général.
Il faudrait remettre à plat avec les chercheurs, les scientifiques, tout le système d’évaluation. On pourrait notamment réfléchir à l’implication des chercheurs non seulement dans l’activité parlementaire, mais aussi dans les entreprises et les établissements privés.
Encore une fois, monsieur le ministre, notre discussion est malheureusement faible et trop ponctuelle. L’idéal serait d’arrêter l’examen de cet article pour reporter la totalité du débat sur ces points fondamentaux au grand débat que le Premier ministre va engager et qui est prévu pour durer six mois.


Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 645.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 41, modifié.
(L’article 41 est adopté.)


Article 41 bis

Mme la présidente. L’amendement n° 646, présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.


La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. C’est le dernier. De toute façon, il n’y a pas de débat. J’aurais souhaité une vraie discussion sur la forme, sur l’interaction entre ce que nous faisons maintenant et ce que le Premier ministre a proposé aux chercheurs, mais vous refusez ce dialogue. À mon sens, il serait plus correct à l’égard des chercheurs de leur dire qu’à l’orée de ce débat prévu pour durer six mois vous avez déjà pris des décisions sur lesquelles vous ne reviendrez pas, donc qui sont fermées à la discussion. C’est le cas pour l’innovation, comme on va le voir.
Avec cet amendement, on aborde le problème des statuts, pour lesquels vous proposez un nouveau système. Monsieur le ministre, aujourd’hui, mes collègues chercheurs sont soucieux d’une chose : la baisse drastique des recrutements au CNRS sur des emplois fixes. Il faut que nous ayons une discussion claire devant le pays à partir de la question suivante : est-il encore utile d’embaucher des chercheurs sur la longue durée ? Je vais vous dire ce que j’ai compris du discours du Premier ministre : effectivement, je le cite énormément, car son intervention de vendredi dernier m’a emporté… (Rires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Roger Karoutchi. Revenez ! (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. J’ai pleinement adhéré à ce qu’il nous a proposé. (Exclamations.) Il a fait une apologie de la longue durée, ce qui me semble primordial. Il nous a dit que la science ne pouvait pas être dans l’événementiel, dans la réaction à chaud sur tous les événements. Bref, il a plaidé pour la durée.
Mme Sophie Primas. Comme en politique !
M. Pierre Ouzoulias. Moi, j’y ai vu une ouverture vers des carrières longues de chercheur. C’est un point sur lequel on doit discuter. Il ne faut pas le retirer du débat que va ouvrir Mme Frédérique Vidal. En toute honnêteté, elle devra dire à la science française sur quoi les discussions vont porter. Malheureusement, j’ai compris qu’un certain nombre de points en étaient retranchés. Monsieur le ministre, le Gouvernement doit cette explication aux chercheurs. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)


Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. L’article 41 bis, que nos collègues proposent de supprimer, a pour objet de permettre aux établissements de recherche de signer des contrats de chantier.
Quel est leur avantage ? Contrairement à ce que disent les auteurs de l’amendement, ils autorisent des durées de recrutement plus longues et plus protectrices pour les salariés. Ils offrent en outre des garanties en matière de formation pour ces mêmes salariés. Par ailleurs, afin de prévenir les abus, il est prévu que la rupture du contrat de chantier ou d’opération qui intervient à la fin du chantier, ou une fois l’opération réalisée, repose sur une cause réelle et sérieuse.
Pour conclure, je dirai que ces contrats offrent de nombreuses garanties aux salariés, tout en permettant de maîtriser la gestion du risque économique que font peser une activité et des financements par nature non pérennes dans le temps.
L’avis est donc défavorable.


Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer. Je ne reprends pas les arguments de Mme la rapporteur, que je partage totalement, mais, j’y insiste, la proposition que nous faisons sécurise les chercheurs par rapport à l’état du droit existant.
Un autre moment politique va s’ouvrir pour débattre sur la recherche. Je me réjouis que vous souteniez avec autant de ferveur le Premier ministre. Cela me fait plaisir ! Cela illumine mon mardi ! (Exclamations amusées.)
Par ailleurs, ayant moi-même commencé ma carrière professionnelle comme chercheur, attaché à la longue durée puisque je travaillais sur Marcel Proust (Rires.), je reconnais bien volontiers la nécessité d’offrir du temps long aux chercheurs. Cependant, comme ministre de l’économie, je pense aussi que les Français sont impatients d’avoir des résultats dans le temps court. (Nouvelles exclamations amusées.)
Ce projet de loi PACTE vise justement à concilier les deux : vous aurez le temps long pour le débat sur la recherche avec le Premier ministre, notamment sur cet établissement prestigieux, et qui fonctionne remarquablement bien, qu’est le CNRS ; pour ce qui est du temps court, je vous recommande de soutenir tout ce qui vise à faire tomber les murs entre la recherche et l’entreprise, ce qui nous permettra de créer des emplois tout de suite. Je pense que les Français sont impatients de les voir maintenant.


Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le ministre, vous me tendez une perche : vous nous proposez donc la recherche du temps perdu ! (Rires.)
Il y a un télescopage entre le temps long et le temps court. L’archéologue que je suis connaît cela parfaitement : il y a les événements, puis le temps long de la recherche. Les chercheurs souhaitent vraiment que le dialogue qui commence avec eux soit sincère. Ils attendent qu’on leur dise exactement sur quoi il va porter. Je regrette vivement que l’on aborde déjà ici, à la sauvette, des questions de statut, de cadre d’emploi, alors qu’une réflexion générale s’impose. Monsieur le ministre, retournez vers eux et expliquez vraiment votre démarche. Je suis désolé, mais, aujourd’hui, je ne l’ai pas comprise.


Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela fait des années que l’on entend ce discours sur la nécessité d’avoir des contrats courts, adossés à l’entreprise. À mon sens, ce qui fait le lien entre la recherche et l’entreprise, ce n’est ni cela ni le statut rendu de plus en plus précaire des chercheurs, c’est plutôt le développement de stratégies industrielles autour d’un axe commun, pour relier l’évolution de nos productions, celle de nos sociétés et la recherche.
À ce sujet, je vous suggère de relire ce qu’ont dit tous les prix Nobel français en matière scientifique : dans leurs premières déclarations, ils rappellent toujours que, s’ils ont l’honneur de recevoir ce prix, c’est justement parce qu’ils ont eu la chance de travailler dans des structures de très long terme, où on ne leur imposait pas de canaliser leurs recherches vers une finalité immédiate.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas favoriser les recherches qui laissent entrevoir des débouchés industriels et technologiques immédiats. Pour autant, je le répète, tous nos prix Nobel récents en matière scientifique ont pu être distingués, car ils ont bénéficié de la garantie de durée offerte par leur statut. (Mmes Angèle Préville et Sophie Taillé-Polian applaudissent.)


Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 646.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 41 bis.
(L’article 41 bis est adopté.)